Elle pleure. Elle se sent coupable. Son corps n’a « pas su ». Elle n’a pas « réussi » à accoucher par son vagin. Pendant deux jours et deux nuits, elle a tout donné d’elle-même pour enfanter son bébé. Jamais dans sa vie elle n’a été aussi brave, et pourtant elle doute. Vautrée dans un lit d’hôpital, enflée et branchée de partout, elle pleure et se sent coupable d’un échec qui, aux yeux de tous, sauf elle, n’en est pas un.

Comme si l’accouchement vaginal était le premier test à réussir pour être une bonne mère.

Pourtant, on l’a tous vu cette femme s’ouvrir comme jamais dans sa vie. Elle les a respiré ses contractions, elle a dit oui à la douleur, elle a dit non à l’épidurale, elle a poussé plus fort que tout ce qu’on croyait possible. Elle a été irréprochablement parfaite. Mais à ses yeux à elle, elle a échoué.

Elle pleure, pleine de remords et de questions. Son ventre est refermé par des agrafes et son coeur est en miettes. Elle est panique et détresse,  mais elle fait tout ce qu’elle peut pour le cacher au personnel de l’hôpital. Au moins, elle ne le cache pas à lui, son homme ou à elle, sa femme, ni à nous, ses sages-femmes.

On lui a dit que son bébé ne serait jamais sorti sans la césarienne, qu’il n’aurait jamais passé sans l’aide de la science moderne.

« Merci docteur pour votre aide, sans vous je serais morte et mon bébé aussi. »

Elle reste polie et docile.

Mais quand la chambre se vide à nouveau, elle pleure les larmes qu’elle ne veut pas montrer. Devant le stoïcisme médical,  l’attente de la compréhension ou l’espoir de la chaleur humaine sont vains. 

Dans son corps endolori et spasmé, elle regarde son bébé et elle l’aime, en pleurant. Elle se demande si elle l’aime assez. L’aimerait-elle plus si elle avait réussi à l’accoucher par son vagin? Elle ne sait pas. Alors elle doute, et elle pleure.

 

Chère femme,

Laisse-moi te dire ceci. Moi, ton humble sage-femme, je sais combien tu as mal.

Dès le premier rendez-vous, je t’ai vue et j’ai su. Je savais que tu avais cette force magnifique, alors que bien humblement tu en doutais. Je t’ai écoutée me raconter tes peurs et tes doutes et jamais je n’ai eu la crainte qu’ils te dominent. Je savais que tu accoucherais bien et que tu le pondrais cet enfant.  C’est exactement ce que tu as fait, jusqu’à ce que la nature te joue un tour.

Tu as accouché ton bébé  jusqu’à un doigt de distance avec ton périnée. Il était juste là, tu lui touchais,  tu faisais tout parfait. Mais il se trouve qu’il était mal placé. Si mal placé que même le plus habile des forceps s’avérait impossible.

Alors on a tous attendu.

Même les médecins ont été patients devant l’inévitable issue de cette histoire de naissance. Comment brusquer une femme aussi forte et motivée que toi ? Personne n’osait précipiter les étapes, jusqu’à ce que l’évidence crie sa raison.

C’est alors qu’elle est arrivée, ta césarienne.

Une césarienne pleine de grâce, comme toi, emplie de ton amour pour ta fille qui a pleuré tout de suite.  Calmement, tu t’es laissé ouvrir sous les scalpels et les écarteurs. Engourdie derrière un petit rideau bleu, tu as prié avec chaque larme qui coulait. Tu as pensé au ciel, et la légèreté des nuages. Tu t’es laissé flotter en repoussant ton mental qui criait sa panique. Tu voulais rester douce et amour dans l’accueil de ton enfant. Tu as pris sur toi, comme une mère sait si bien le faire.

Tu as tout fait parfait et pourtant tu en doutes. Tous tes efforts dans l’intensité de cette naissance n’ont pas su éviter l’hôpital, ses aiguilles et ses scalpels. Et parce que tu n’as pas réussi à accoucher par ton vagin, tu te demandes encore si tu aurais pu faire mieux.

Je te comprends de te questionner, je serais comme toi si c’était moi.  Évidemment, je pourrais te dire que tu as tout essayé et qu’il n’y avait plus d’autres options, mais ça ne servirait à rien. Parce que c’est toi et toi seule qui doit trouver cette conviction que tu as bel et bien tout fait, pour l’éviter cette césarienne.

Je t’admire belle femme, toi et toutes celles qui ont passé par le compromis  pour réussir l’enfantement. Tu as le droit de pleurer et d’être déçue, c’est une étape normale. Pleure-là ta césarienne, et ce, tant qu’il le faudra.

Je ne peux pas te promettre que tu en viendras à accepter, mais je t’assure que tu apprendras à vivre avec cette histoire. Avec le temps et les sourires de ton enfant, le tissage de l’histoire va se dévoiler, et éventuellement s’apaiser.  D’ici là, prends tout le temps qu’il te faudra et ose la pleurer ta césarienne. Ouvre toi jusqu’à la pleurer toute entière.

Et ceux qui te diront:

« Ton bébé est en santé, ce n’est pas si grave ! »

Dis-toi qu’ils ne réalisent tout simplement pas à quel point accoucher est une expérience sacrée et transformatrice. Ils n’ont pas encore réalisé qu’accoucher par son vagin et sous sa propre autorité hormonale facilite le passage vers la maternité.  Ces gens-là ne peuvent pas comprendre le deuil qui s’en suit quand la naissance qu’on souhaitait la plus instinctive possible glisse dans une cascade d’interventions médicales.

J’ai le regret de te dire que la majorité de ceux à qui  tu raconteras ta déception n’auront pas la sagesse ni l’ouverture de comprendre.

Tu as peut-être perdu des plumes sur le chemin de cet accouchement, mais tu verras, si tu laisses le temps faire son œuvre, elles repousseront ces plumes, encore plus larges et plus belles…

 

Couchée sur le lit,  seule avec son bébé, la femme se demande:

«Pourquoi était-il placé ainsi? Je comprends qu’il fallait faire la césarienne. Mais qu’est ce que j’aurais pu faire de plus pour qu’il trouve son chemin ?»

Même si elle a vu avec le bain combien il était mal placé (lire ce billet) et entendu ses pleurs qui appelaient au secours, qu’elle comprend  ce qui s’est passé et à quel point il fallait intervenir, elle cherche à comprendre pourquoi la vie lui a imposé une si grande épreuve.

Même si elle accepte les explications mécaniques et physiques, et qu’elle remercie la vie d’avoir eu accès à la césarienne, sa douleur est malgré tout bien présente, et seul le temps pourra l’adoucir.

D’ici là, elle va pleurer sa césarienne, une larme à la fois…