La mort est imprévisible et indescriptible.  À moins d’un miracle, on en revient pas vivant. C’est là toute sa fatalité. La mort fait peur, on s’en méfie et on n’en parle pas. C’est un tabou légitimé dans le silence. Comme si ne pas en parler la gardait loin de nous.

La mort est l’inévitable destination de la vie. Parfois, on la voit venir, lors d’une maladie par exemple. Mais elle arrive aussi tout bonnement, comme ça, sans tenir compte du contexte, du qui, du quand ou du comment. Elle arrive, prend la vie et c’est fini. 


Parler de la mort quand on fabrique la vie?


​S’il y a bien un moment de notre vie où on ne veut pas penser à la mort, c’est quand on porte la vie.
Pourquoi parler de la mort alors qu’on a une vie à construire? Et bien, parce que la mort arrive aussi dans ces moments-là. Parce qu’il y aura toujours des bébés qui n’arriveront pas à naître vivants ou qui partiront à peine arrivés. 

​Quand j’ai fait mes études sage-femme, on ne m’a pas beaucoup parlé de la mort dans la naissance.

On en a bien parlé une fois, lors d’un cours, et je crois bien que c’est le seul moment en quatre ans et demi. Tout au long de mes stages, je n’ai jamais entendu mes préceptrices parler de la mort. Le tabou était palpable, on ne parlait pas de la mort.

C’est ainsi que tout au long de mes études sages-femmes, la mort est rester une hypothétique possibilité dont il ne vaut pas la peine de parler.

Jusqu’à cette année-là, où j’ai vu trois familles perdre leur bébé. Avec ou sans raison, en fin de grossesse et une fois à l’accouchement (la femme n’était plus sous nos soins quand c’est arrivé). Dans les trois cas, les bébés sont partis avant même de prendre leur premier souffle.

C’est au contact de ces petits anges que ma vision de la mort dans la naissance a changé. Depuis leur passage, je ne suis plus naïve, je parle de la mort avec tous les couples que j’accompagne.
​​

[content_container max_width=’500′ align=’left’] « J’espérais ses mouvements.
Je ne voulais pas y croire.
J’ai attendu.
Il ne bougeait toujours pas.
​Je suis inquiète.
C’est pour ça que je t’appelle… »[/content_container]

 

Le cri

Le cri d’une mère qui rencontre son petit bébé mort-né est indescriptible. On ne peut même pas en imaginer une toute petite parcelle. Il fend l’espace-temps et physique à la fois,  jusqu’à la lumière de Dieu en personne. Sa pression acoustique est au-delà des décibels perceptibles à l’ouïe. Il balaye toutes nos conceptions de la vie jusqu’à présent. Après avoir entendu ce cri, on ne peut plus être naïf. Après, plus rien n’est pareil, on sait à présent la fatalité de la mort.

Ces petits anges qui ont changé ma vision de la mort

Depuis cette première fois où j’ai vu la mort prendre un bébé à sa famille, sans pitié ni retenue, que j’ai vu le regard des parents sous le choc de l’impensable, que j’ai entendu leur «POURQUOI?», leur «COMMENT ÇA?», dans le silence de leur choc, comme si je les avais trahis en ne leur disant rien de cette possibilité, alors je parle de la mort.

J’ai compris qu’accoucher c’est aussi donner la mort. Les femmes accouchent, et les bébés naissent, mais que ce soit à cent ans ou pendant la grossesse, concevoir et donner la vie, c’est aussi donner la mort. Toute vie sur terre porte sa mort certaine.

On ne sait pas quand ni comment, mais ça arrivera. On espère que ce sera dans longtemps, après une vie heureuse et en santé. Mais parfois la mort arrive avant même de naître, après un douce vie intra-utérine avec ses milles promesses et possibles. On n’évite pas l’inévitable, c’est pourquoi il faut parler de la mort. Elle est une des plus grandes vérités et malgré nos savoirs et notre science, c’est elle qui a toujours le dernier mot.

Parler de la mort pendant la grossesse

Aborder la mort avec un couple qui attend un enfant peut sembler contre-intuitif à la base. D’autant que la mort est souvent tabou et que peu de gens sont à l’aise d’en parler.   C’est un sujet délicat, qu’il ne faut ni forcer ni imposer.

Les familles que j’accompagne le savent, je parle de la mort. Je leur dis dès le premier rendez-vous: «Tu vas voir, on va même parler de la mort.»

J’aborde le sujet aussi souvent que possible et sans censure. Avec certains couples, on en parle souvent, avec d’autres une seule fois est suffisante, comme déjà trop.

Dans tous les cas,  ces discussions autour de la mort marquent un prise de conscience sacrée dans le processus de la grossesse. Réaliser que même si la vie triomphe la plupart du temps dans le monde des naissances, la mort peut arriver et ce sans pitié pour personne, c’est une prise de conscience qui permet aux parents de ressentir les infinis possibles de l’existence.

Ils deviennent alors plus humbles et j’oserai même dire, plus sereins. En conscientisant  l’impuissance devant la fatalité de la mort, on comprend que notre seul réel pouvoir face à la qualité et la durée de vie de notre enfant, c’est d’avoir confiance en la vie, en Dieu si on est croyant, et dans la puissance de l’amour.

Comme sage-femme,  dès le début du suivi je tiens à mettre au clair avec mes clients que je n’ai pas reçu de super pouvoir contre la mort avec mon diplôme. Je ne peux ni promettre un accouchement orgasmique ni un bébé en santé, et encore moins vivant. Je suis tout à fait habileté à être là avec eux, à faire le suivi de la grossesse et de l’accouchement selon les règles de l’Art et de la science moderne.

Je sais réanimer un bébé et contrôler une urgence, mais il reste que malgré ça, je ne peux rien leur promettre quant aux issues de cette aventure qu’est celle de donner la vie. Ni moi ni aucun médecin, pas même le plus grand des spécialistes, n’a ce pouvoir.

Ainsi on parle de la mort. Qu’être en vie, c’est porter l’inévitable évidence qu’on va tous mourir un jour. Qu’être parent c’est aussi fantastique que cruel pour le coeur…

Et comme on ne sait rien d’avance, on ne peut qu’espérer que tout ira pour le mieux. Ainsi va la vie, les femmes accouchent et les bébés naissent, les familles se créent, et les histoires se dévoilent.