Une petite analogie.
Imaginez que la conception devienne médicalisée et que pour concevoir un enfant, il faille aller dans un endroit où un professionnel de la santé est présent pendant que vous faites l’amour afin de vous assurer que tout se passe selon les protocoles établis par ce paradigme médical. Oh! Ce professionnel serait discret. De temps en temps, il s’assurerait que tout va bien en vérifiant vos signes vitaux. Il vous proposerait des positions pour favoriser votre confort, tout en tamisant l’éclairage pour favoriser l’intimité. Il vous offrirait à boire et vérifierait votre rythme cardiaque régulièrement pour éviter une déshydratation ou un accident cardio-vasculaire. Puisque les principales causes de décès chez les adultes canadiens sont les maladies du cœur et les accidents cardio-vasculaires (2), il y aurait tout l’équipement de réanimation à portée de main, « au cas où ».
Ce scénario est une analogie entre la conception et l’accouchement afin de mettre la lumière sur les besoins de la femme qui enfante. En effet, de plus en plus de recherches démontrent qu’accoucher fait partie de la sexualité humaine et que le lieu physique idéal pour une naissance est le même endroit où le bébé a été conçu. (1) En fait, les besoins pour s’épanouir sexuellement sont les mêmes pour toutes les expériences sexuelles saines, qu’il s’agisse de la première fois, de la conception d’un enfant, de la masturbation, de caresses, de moments d’extase ou d’accouchement. Voici quatre composantes intrinsèques à un accouchement naturel qui démontrent que l’enfantement est parti intégral de la sexualité de la femme : la timidité du vagin, les états de consciences altérées, les états émotionnels et l’importance du non dérangement.
1. Le vagin: un organe timide
Le vagin, cette composante fondamentale du corps de la femme, est extrêmement sensible et de nature très timide. Tout comme ses voisins, les sphincters de la digestion et de l’urine, le vagin refuse de s’ouvrir lorsqu’il n’est pas en confiance. Pourriez-vous à aller à la toilette si celle-ci se trouvait au milieu d’une salle d’hôpital et que quelques spécialistes restaient à vos côtés pour vous « aider », tout en ayant les yeux rivés sur votre entrejambe ? Non, ou avec énormément de difficulté. Il est important de se référer à la notion d’intimité lorsque nous parlons du fonctionnement normal des sphincters et de l’accouchement. L’intimité, c’est une bulle où l’on se sent bien, non jugé, non observé. L’intimité se vit seule ou avec quelques personnes privilégiées, choisies, et en qui l’on a confiance. Pensez à une chatte qui se cache au fond d’une garde-robe pour mettre bas: même les mammifères ont besoin d’intimité pour avoir leurs petits !
Le vagin, pour se détendre, s’assouplir, devenir élastique et se lubrifier, a besoin de consentir à vivre un moment sexuel donné. Bien au-delà d’un consentement intellectuel, il s’agit d’un consentement profond, intérieur, qui ne peut avoir lieu que dans un environnement où la femme est totalement à l’aise de s’abandonner. Il n’y a rien de surprenant à ce que, lors de certains accouchements qui stagnent, certaines femmes, de manière informée ou instinctive, s’isolent sous la douche pour relaxer,
se masturber, se caresser les seins, se sentir belles, sauvages et non observées… et voilà que le travail progresse soudainement! La sage-femme Ina May Gaskin relate même qu’elle n’a jamais vu de déchirure du périnée chez les femmes qui embrassaient leur partenaire en accouchant, celles-ci étant complètement détendues et dans leur intimité (6).
2. Les états de conscience altérée
Lorsque l’on quitte la « réalité ordinaire » (que l’on est en transe, dans la lune, dans l’abandon sexuel, en état d’hypnose, en sommeil profond, au pays des rêves…) notre cerveau cartésien cesse de penser et laisse place au subconscient, puis éventuellement à l’inconscient. Cela s’appelle des états modifiés de conscience (ÉMC) ou états de conscience altérée.
Cet état second, vécu lors de l’accouchement, est souvent observé sans être nommé directement : les yeux de la femme se ferment ou roulent par en arrière, elle semble être entre deux mondes, parle peu ou plus du tout, sourit à elle-même, émets des sons graves ou sensuels qu’elle ne se permettrait pas dans la réalité ordinaire. On dit alors que la femme « semble sur une autre planète », « se trouve complètement ailleurs », ou même, « semble sous l’effet de drogue ».
En état d’éveil, dans la réalité ordinaire, notre cerveau émet des ondes bêta. À l’électroencéphalogramme (ECG), on remarque que lorsqu’un humain quitte l’état d’éveil, le cerveau passe au rythme alpha, puis thêta et delta; de l’extérieur, il passe de la détente au repos physiologique et mental, du sommeil léger au sommeil lent et profond. (3)
Sexuellement, pour vivre l’extase, nous devons quitter les ondes bêta, c’est-à- dire quitter l’état d’éveil « normal »: cesser de discuter normalement et de réfléchir aux petits détails du quotidien. La femme qui ne parvient pas à s’abandonner en accouchant, parce qu’on lui parle ou qu’elle a peur, par exemple, n’accouchera pas naturellement, ou très difficilement. Il s’agit là d’un mécanisme de survie :
pour visiter les états modifiés de conscience, nous devons être en confiance. Sans sentiment de sécurité, pas de moments sexuels tendres ni d’accouchements physiologiques.
Pour atteindre le subconscient ou, en quelque sorte, « passer le voile », cesser de réfléchir est capital. Ne rien calculer et éviter de répondre à un interrogatoire sont nécessaire. Ainsi, un accompagnant bien informé (partenaire, doula, personnel soignant) évitera de dire « as-tu soif ? » à la femme qui enfante; il va plutôt chercher une bouteille d’eau et la pose tout près, le lui montrant discrètement, sans rien perturber.
3. L’état émotionnel
Avoir une relation sexuelle dans la peur, avec quelqu’un que l’on ne souhaite pas voir, de même que se faire toucher contre son gré, c’est une agression. Alors, pourquoi se surprendre que de plus en plus de femmes témoignent de violences obstétricales et de traumatismes à l’accouchement ? Cela n’a rien de nouveau à notre ère. Par exemple, voici comment l’auteure dramatique Janette Bertrand relate son accouchement traumatique à Montréal dans les années 1950 :
« Personne ne m’écoute. J’ai l’impression que mon dos va éclater. (…)
– Je veux voir Jean.
Le médecin, que je n’ai rencontré qu’une seule fois, me répète que les hommes sont interdits dans la salle d’accouchement, puis, sans plus d’explications, on m’attache les pieds dans les étriers, les mains à des poignées, et pendant que je cris : « Je ne suis que de sept mois », on me met le masque de chloroforme sur le nez. Je me sens violée. » (4)
De nos jours, bien que les pieds des femmes qui accouchent ne soient plus attachés aux étriers (on utilise généralement une barre d’appui pour « adoucir » le symbole), combien de femmes donnent encore naissance dans une position dégradante, les jambes bien ouvertes et écartées pour faciliter le travail du médecin ou simplement, car c’est la seule image de l’accouchement que connaisse l’imaginaire collectif ?
Pourtant, on sait que les accouchements couchés étaient quasi inexistants dans les sociétés anciennes (5) et que cela n’a rien d’instinctif ni d’ergonomique. Il est clair que d’inciter une femme à adopter une position qu’elle ne souhaite pas prendre modifie son état émotionnel.
Pourquoi certaines femmes témoignent-elles de leurs accouchements comme extatiques alors que d’autres parlent d’expériences traumatiques? L’état émotionnel de la femme est complètement différent dans les deux cas. Enfanter dans la peur, l’incompréhension, la souffrance… versus la confiance, l’espoir, la compréhension. La préparation joue énormément. Lorsque la femme comprend ce qui se passe, comment les contractions travaillent, ses options pour gérer la douleur… lorsqu’elle est entourée de personnes judicieusement sélectionnées, qu’elle s’abandonne dans un état de conscience altérée, celle-ci vit généralement l’événement d’une manière positive.
Pareillement, on sait que, sexuellement, les gens qui ont reçu une éducation sexuelle positive, dénudée de honte, de tabous et de mythes, réussissent à s’épanouir plus facilement.
4. Le moindre dérangement
Revenons à trois processus physiologiques qui demandent énormément de laisser-aller afin de quitter la réalité ordinaire: s’endormir, faire l’amour et accoucher. Où est l’endroit idéal pour être dans son intimité, relaxer et se sentir en toute confiance ? Dans sa chambre à coucher, bien sûr. Vous souriez et pensez aux autres endroits où vous aimez bien vous blottir contre l’être cher… Telle votre chambre à coucher, ces endroits sont loin des regards indiscrets, et surtout loin des dérangements. Car même lorsque l’on dort ou fait l’amour, on demeure conscient de ce qui se passe autour. Si un inconnu
pénètre dans notre maison, si un enfant pleure, si l’on vient vous tâter le ventre, vous vous en rendez compte. Peut-être aurez-vous du mal par la suite à replonger dans votre sommeil ou votre moment de tendresse. Il en va de même pour l’accouchement. Le chercheur et obstétricien Michel Odent a constaté : « On ne peut contrôler un processus physiologique, on ne doit que le perturber le moins possible. » (7)
Perturber le moins possible… voilà un fait sur lequel tous les sexologues s’accordent. Il faudrait maintenant convaincre le personnel présent à un accouchement d’une approche plus hand off… Comment perturber le moins possible un accouchement dans un lieu où les procédures du milieu sont une routine ?
Peut-être en recréant sa propre chambre à coucher à la maternité ou à la maison de naissance quand accoucher chez soi ne fait pas partie de notre plan de naissance. Une stratégie pour se sentir chez soi en accouchant peut être d’amener à la maternité sa couverture préférée ou ses propres oreillers, des objets portant sa propre odeur. Amener une radio pour choisir sa musique, un cadre inspirant et une veilleuse est une autre tactique. Certaines personnes posent des draps ou des paréos sur les appareils technologiques autour d’eux et tournent l’horloge pour éviter de se laisser déconcentrer. Plusieurs femmes amènent leur tapis de yoga ou ballon de gymnastique pour accoucher à quatre pattes ou dans toutes positions qui leur semblent plus confortables. D’autres osent même amener leur piscine d’accouchement à l’hôpital ! Pourquoi pas ?
Surtout, pour recréer l’ambiance de la chambre à coucher, il y a le rôle du partenaire et de la doula, qui deviennent les « gardiens du calme » et qui veillent à ce que les lumières soient tamisées, la température de la pièce agréable pour une personne nue, les rideaux fermés… Ils peuvent poser une affiche sur la porte de la chambre avec la mention : « chut, accouchement en états modifiés de conscience (ÉMC) en cours. Merci énormément. »
Vivre sa sexualité et accoucher intimement
La sexualité de la femme n’est ni du domaine de la religion (comme lors la Grande noirceur, jadis), ni du domaine médical: elle appartient à la femme. Pour certaines, l’option la plus réaliste pour vivre un accouchement physiologique sera de changer de milieu de naissance, de trouver une maternité où elles se sentent plus à l’aise, ou de trouver une sage-femme qui acceptera de l’accompagner chez elle (dans certains pays, l’on parle de sage-femme libérale). Pour certaines, accoucher sans assistance médicale (A.N.A.), chez soi, devient l’option la plus naturelle ; on parle dans ce cas d’enfantement libre et de femmes généralement ultras préparées. À chacune de trouver sa propre voie afin d’aménager son lieu de naissance pour y être à l’aise de partager un grand moment de sa sexualité…
Enfin, rappelez-vous que les états altérés de conscience et les états émotionnels positifs
n’anesthésient pas la douleur des contractions, mais ils permettent au corps de capter toutes les endorphines possibles pour vivre la plénitude entre chaque contraction et jouir de ces doux moments de répit. Au-delà d’un moyen de gestion de la douleur, ces états permettent un accouchement physiologique, comme le sont capables tous les mammifères.
En terminant, voici quelques suggestions que Karine la sage-femme et moi avons rassembler pour créer sa “trousse d’intimité” lors d’un accouchement prévu à l’hôpital:
- Des paréos ou draps pour cacher l’heure et le matériel médical
- Tapis de sol (de camping ou de yoga)
- Lampions DEL, lampe de sel, chandelles
- Musique et écouteurs
- Votre saut-de- lit préféré (pour un accouchement physiologique, vous n’êtes pas tenue de
mettre une jaquette d’hôpital) - Une affiche « Chut, accouchement physiologique en cours ! » et de la gommette pour mettre sur la porte
- Votre oreiller préféré
- Votre bouteille d’eau, avec des pailles pliables au besoin
- Votre tableau de visualisation (vision board), des cartes d’encouragements, des belles
images et des mantras - Un diffuseur d’huiles essentielles et de l’huile à massage (testés chez soi)
Références
(1) ODENT, Michel. The Function of the Orgasm
(2) Statistique Canada. https://www.statcan.gc.ca/pub/82-625- x/2017001/article/14776-fra.htm
(3) DUBUC, Bruno. Le cerveau à tous les niveaux, Nos différents sommeils, Université Mc Gill, Montréal,
http://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_11/a_11_p/a_11_p_cyc/a_11_p_cyc.html
(4) BERTRAND, Janette. Ma vie en trois actes. p.163
(5) GOLDSMITH, Judith. Childbirth Wisdom : From the World’s Oldest Societies
(6) GASKIN, Ina May. Ina may’s Childbirth Book.
(7) ODENT, Michel. Water and sexuality
BLISS, Statia. 2003. Brain Waves and Sex. Gardian Liberty Voice. http://guardianlv.com/2013/05/brain-waves- and-sex/BARTLETT, Whappio Diane. http://thematrona.com/the-holistic- stages-of- birth/
DUBUC, Bruno. 2006. Le cerveau à tous les niveaux, Nos différents sommeils, Université Mc Gill, Montréal, http://lecerveau.mcgill.ca/
BLISS, Statia. 2003. Brain Waves and Sex, Gardian Liberty Voice. http://guardianlv.com/2013/05/
BARTLETT, Whappio Diane http://thematrona.com/the-

Cynthia la doula
Cynthia la doula est une Nunavummiuq passionnée de la périnatalité. Elle lit continuellement sur le sujet, écrit sur le blogue la Saison du mammouth et accompagne le cheminement de femmes à travers leurs grossesses.
Elle est l’auteure du livre jeunesse Ma mère, c’est la plus forte : une histoire sur la naissance, un ouvrage créé pour mieux préparer sa propre famille à ses accouchements libres et pour transmettre aux enfants un secret bien gardé dans notre société moderne: accoucher est merveilleux.
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