Ce jour-là, elle est arrivée dans mon bureau le visage ramolli. Cernée à souhait par toutes les nuits d’insomnie d’une grossesse difficile et boursouflée par l’évidence qu’elle avait beaucoup pleuré.

— Hier, ça me tentait plus.

« Ah oui? »

— Je ne voulais plus accoucher ni devenir mère. J’ai pogné la chienne !

« Bien sûr. Ça arrive ! »

— J’ai comme eu peur de ne pas l’aimer. De ne pas savoir comment être mère.

« C’est bien de pleurer. Sortir ses dernières peurs avant de plonger dans l’inconnu et devenir mère. Je n’ai aucun doute que tu seras une mère extraordinaire. Mais tu sais quoi ? C’est normal que tu doutes. »

— Mais là ça va ! Je suis correct. Je peux accoucher !

« Tu es toute ramollie. Je vois par ton visage combien ton col est surement bien effacé et ouvert. D’après moi, tu accoucheras avant la fin de ma garde ! »

— Je suis toujours comme ça, avant les grands passages. Par exemple, quand je pars en voyage je panique avant d’entrer dans l’avion. J’ai super peur, je n’ai plus le goût d’y aller. Alors là je panique et tout sort. Puis j’embarque dans l’avion, et je fais un super beau voyage !

« Voilà, tu fais tout comme il faut, selon ta propre sagesse. »

Le bébé était bas depuis plusieurs semaines déjà, c’est surement pour ça que ça s’est passé aussi vite et bien. Une primipare qui accouche comme une multipare !

Quand elle a vomi, peu de temps avant la poussée spontanée, les membranes ont rompu et le bébé a descendu. Le liquide était clair comme de l’eau de roche. On pouvait entendre l’éminence de la naissance à chaque son qu’elle faisait.

Rapidement, l’anus s’est ouvert sous la pression, laissant à peine sortir une selle. La tête est arrivée dans le vagin, la vulve a commencé à s’entrouvrir et on a vu les cheveux apparaître.

« Ça brûle ! »

— Je sais. C’est normal. Tu dois pousser là où ça brûle. Tu verras, si tu fais ça, ça fera moins mal.

« Ok.»

Je suis toujours émue de la confiance que les femmes m’accordent. Comme si moi je savais comment faire naître leur bébé ! Pourtant, plus le temps passe moins j’ai l’impression d’en savoir. C’est étrange, mais c’est comme ça. Je ne sais pas comment l’expliquer. C’est comme si avec le temps, je puisais mes mots, mon « savoir-faire-et-être », ailleurs que dans mes connaissances apprises à l’école.

Vite, on a vu le petit couronnement. Elle était à quatre pattes, mammifèrisée à souhait.

— Maintenant tu peux seulement le souffler ton bébé. Il va ouvrir ta vulve tout doucement, à son rythme. N’aie pas peur de la brûlure, elle te guidera.

Ainsi, la tête et le corps sont nés en quelques poussées seulement, une dizaine tout au plus.

Quand la tête est sortie, le liquide derrière s’est écoulé. Le bébé était si bas depuis des semaines que la tête formait un bouchon qui séparait le liquide devant la tête de celui de derrière. Or quand le liquide derrière la tête s’est dévoilé, il était pour sa part densément teinté d’un beau méconium doré.

Un méconium vieux d’au plus trente-six heures, soit le moment de l’épisode de panique, où encore, ce moment précis où elle s’est ramollie, et qu’elle a pleuré ses peurs pour pouvoir accoucher. Comme si ce moment de panique avait provoqué chez le bébé son premier méconium, et probablement son grand plongeon vers la vie. Ce n’est là que mon humble hypothèse.

Vous auriez dû voir ce bébé arriver! Un réflexe d’éjection d’à peine vingt minutes, tout en douceur et sans déchirure. Digne des sages paroles de notre très cher M. Odent !

Le bébé a pleuré aussitôt arrivé. La mère a fait son retour, puis elle est venue cueillir son bébé pour en faire sa connaissance. Un moment magnifique, un petit matin de juin, dans une belle maison centenaire. Les oiseaux ont chanté, et le placenta est né comme le soleil se levait.

Un autre magnifique vortex de naissance, laissant s’incarner un petit garçon calme qui respire la douceur. C’était une naissance simple et facile. Rien de compliqué, presque banalement inscrite dans le quotidien d’un couple, devenu parents en l’espace d’une nuit.

Je suis repartie quelques heures plus tard et dans la rue la petite maison rouge brillait plus que toutes les autres. Comme si l’abondance d’ocytocine, cette hormone de l’amour, était venue ajouter une couche de vernis lumineux sur le déclin et les bardeaux de cèdre.

Je suis bénie d’être en vie et témoin de si beaux miracles.