Le premier trimestre de la grossesse est une période dont on parle peu, et pourtant, il s’y passe tant de choses. Pourquoi parle-t-on si peu de ces premiers mois à fabriquer la vie ? C’est vrai, personne n’en parle alors que pour un grand nombre de femmes, le premier trimestre est le plus difficile de tous.

Moi-même enceinte de treize semaines en écrivant ce billet, je sentais le besoin de vous partager les réflexions que j’en garde après l’avoir traversé pour une cinquième fois.

Mais pourquoi ne parle-t-on pas du premier trimestre?

D’un point de vue personnel, s’il s’est bien passé, est-ce qu’on doit éviter de s’en vanter? Et si on a détesté ces premières semaines, est-ce qu’on doit en avoir honte et éviter d’en parler ? Comme si raconter nos matins à vomir nos entrailles allait diminuer le taux de fécondité !

Collectivement, est-ce qu’on en parle et s’y investit si peu parce qu’on sait que la femme pourrait perdre le bébé ? Avons-nous à ce point besoin d’une garantie de livraison pour aimer et prendre soin des femmes nouvellement enceintes ?

« Montre-nous que ton ventre grossit et que la vie persiste, et on croira à ta grossesse… »

Le fait est que ce silence entourant le premier trimestre laisse la femme enceinte bien seule (et incomprise) dans la traversée de ces premières semaines de grossesse. Elle-même souvent surprise (voir traumatisée) de découvrir l’intensité dans laquelle les deux petites lignes sur le bâton l’ont propulsée !

Que son ventre soit à peine visible, ou si gros qu’on lui lance déjà « Tu es certaine qu’il n’y en a pas deux ? », au premier trimestre de la grossesse la femme n’a jamais eu autant besoin d’être portée, nourrie, aimée, rassurée, encouragée et reconnue dans les capacités et la normalité de son corps, et ce, tout simplement parce que le premier trimestre de la grossesse, c’est VRAIMENT intense !

Le dire ou ne pas le dire?

Évidemment, ce silence, voire cette insouciance collective, entourant le premier trimestre, amène aussi cette tendance à garder la nouvelle de la grossesse pour soi tant qu’on n’atteint pas les douze semaines. J’ai moi-même toujours gardé le secret de mes grossesses aussi longtemps que douze semaines. J’aimais l’idée que ce soit MON secret . Jusqu’à ce que je perde un bébé sans que personne soit au courant. Je me suis sentie tellement seule à vivre mon deuil…

Cette fois-ci, je l’ai dit au monde entier dès le début, via mon compte instagram. J’avais besoin d’être portée. J’avais besoin de sentir que d’autres aussi s’attachaient à mon bébé et y croyaient avec moi, et ça m’a vraiment aidée à rester brave et confiante dans mes moments de doutes.

Il n’y a pas une bonne façon de faire. Vous avez envie de le dire, dites-le. Vous voulez garder le secret, allez-y. Mais surtout, ne vous empêchez pas de le dire parce que vous pourriez perdre le bébé. Il est temps que le monde évolue et comprenne qu’une fausse-couche est un deuil réel et légitime, et c’est en partageant nos grossesses quand on le sent comme tel que la conscience de la vie et la mort s’éveilleront.

 

Accueillie par Madame l’ambivalence en personne.

Avec le test de grossesse positif vient Madame l’ambivalence en personne, ce sentiment vertigineux qui nous fait tout remettre en doute. Il est un certes un des premiers sentiments à faire surface à l’annonce d’une grossesse, et ce, même si celle-ci est désirée.

C’est NORMAL, et non, l’ambivalence ne tue pas les bébés ! L’ambivalence permet de choisir et d’établir la certitude de notre choix à ouvrir notre cœur, notre vie à cet humain qui a décidé de venir.

Dès l’annonce d’une grossesse, tout est momentanément différent pour la femme. Elle n’est plus seule, un trésor vibre et s’éveille en elle. Déjà, elle est transformée. Dans ses yeux, la lueur d’une vie nouvelle. Même si personne ne le sait encore, chaque battement de son cœur crie  « Je suis enceinte ! Je suis enceinte ! Je suis enceinte ! … »

Entre la joie et le doute, l’ambivalence commence déjà à établir sa cadence. À peine quelques minutes ont passé que le mois de l’accouchement est figuré, la maison en train d’être repensée, ou encore, le déménagement planifié, sans parler des milles questions qui surgissent…

Que penseront mes proches d’avoir un enfant si jeune, ou si vieille ? Si rapproché du dernier ? Avec un conjoint si récent ? ; est-ce qu’on aura assez d’argent ? ; est-ce qu’on aura l’énergie ? ; notre couple survivra-t-il ? ; je n’ai même pas encore de diplôme… ; je viens de perdre mon emploi… ; je le voulais ce bébé, mais maintenant qu’il est là, j’ai peur d’avoir fait une erreur ! ; … J’ai tellement mal au cœur !

Pour ma part, l’ambivalence ressemblait à ça :

J’ai déjà trois enfants dont un qui est gravement malade, est-ce qu’on aura l’énergie ? Que penseront les gens ?  Comment vais-je pousser le fauteuil et la poussette quand bébé sera trop grand pour être porté ? Et si j’avais de jumeaux !?  Et si notre fils mourait ? Et si ce bébé aussi était malade ? Est-ce qu’on aura assez d’argent ?

Bref, voici à quoi ressemble la torture de l’ambivalence !!!

Puis, on trouve la force d’affronter chaque question et de trouver les réponses qui viennent assoir la certitude que ce bébé apportera son lot d’abondance.

L’argent viendra ; peu importe les épreuves de la vie, on a le droit d’être heureux et d’avoir des projets ; toutes les familles peuvent perdre un enfant pendant qu’elles attendent un bébé, seulement elles n’en sont pas conscientes ; si ça se trouve il prendra du mieux, sinon, il le poussera lui-même son fauteuil, et au pire on en prendra un électrique ; bref, on a le droit d’être heureux et d’avoir un bébé même si la vie n’est pas toujours facile, et non, on n’est pas fous !

Le premier trimestre : invisible et pourtant si envahissant

Avec l’ambivalence des premiers jours ou premières semaines de grossesse, les symptômes de grossesse rentrent vite au poste !

Personnellement, plus les semaines passaient plus j’avais l’impression d’être envahie et aspirée au niveau de mon énergie. Tout me ramenait vers l’intérieur et cette vie qui pousse en moi.

Même si aux yeux de tous la grossesse est encore invisible parce qu’on n’a pas encore les formes d’une femme enceinte, tout le corps agit comme tel, des cellules aux émotions, de la conscience au subconscient, nous voilà transformées. Déjà, la fragmentation qui commence. La vie nous envahit jusqu’à nos rêves, parfois des plus étranges.

Dès les premiers instants qui suivent la conception, toutes les cellules du corps de la femme se mettent à vibrer dans un seul et unique but : créer un parfait embryon qui deviendra fœtus. À chaque instant de ces douze semaines embryonnaires, le crescendo des divisions cellulaires écrit la symphonie de la vie. Le miracle est en cours, chargé de ses mille promesses. Dès lors et pour toujours, la femme se transforme.

Si certaines ne se douteront pas aussitôt d’avoir été fécondée, nombreuses sont les femmes qui disent l’avoir sentie de suite. S’en suit les premiers symptômes : éveil nocturnes pour uriner, mictions plus fréquentes le jour, douleurs aux seins, nausées, odeurs accentuées, dégoûts étranges, etc. Le sentiment vibratoire de ne plus être seule et d’exister pour plus que soi-même. Le tout, bien orchestré par la cadence de l’ambivalence, donnant lieu aux fameuses cascades émotionnelles.

Évidemment, certaines femmes n’auront aucun symptôme désagréable et un premier trimestre presque silencieux (plus fréquent au premier bébé), mais il reste qu’au premier trimestre les prémisses d’une nouvelle vie s’installent dans le corps de la femme et la plupart du temps, l’ambivalence est au rendez-vous et les symptômes seront présents, de tolérables à carrément handicapant !

 

Le trimestre de la flaque humaine

Le trimestre de la « flaque humaine », c’est comme ça que j’appelle le premier trimestre de la grossesse. Certes, celles qui ont très peu de symptômes ne me comprendront pas (tant mieux pour vous !), mais je suis certaine que plusieurs sauront de quoi je parle.

Pour un bon nombre de femmes, surtout quand il ne s’agit pas d’une première ou deuxième grossesse, le premier trimestre de la grossesse en est un qui nous réduit au statut de « flaque humaine ». Encore faut-il avoir le luxe de pouvoir la faire, bien sûr !

Entre les nausées, les vomissements, la faim (même à minuit le soir !) et la soif subite pour telle chose bien précise, les dédains multiples et les étourdissements, entre autres symptômes, la fatigue semble être la chef d’orchestre de cette disharmonie de symptômes physiques.

Pour ma part, la fatigue arrive comme une violente bourrasque. Quand elle frappe si je ne l’écoute pas aussitôt elle me terrasse littéralement et j’en perds mes jambes. Si je ne m’assois pas ou ne me couche pas aussitôt, il m’est arrivé de tomber sur le plancher et de ne pas pouvoir me relever avant plusieurs minutes. Oui, aussi pire que ça ! Avec les grossesses, j’ai appris à prévenir. Ma famille le sait, si je dis « Je dois m’étendre. » Ils savent que j’en ai pour une bonne heure ou deux, parfois plus si je m’endors, avant de me revoir sur mes deux pieds.

Certains jours la fatigue sera tolérable, d’autres, elle sera le maître de la journée, rendant impossible toute ambition, aussi minimale soit-elle. Parfois, elles sont dures ces journées parce qu’on se sent moche, inutile et pitoyable. Et parfois elles sont douces ces journées, parce qu’on se rappelle que c’est pour une bonne cause, que c’est un signe que bébé grandit et qu’il n’y a pas plus noble à faire au monde, que d’être là à faire la « flaque humaine » pour créer un autre humain.

Qu’est-ce qui fait la différence entre ces deux vécus ? La réponse est une mathématique évidente : c’est le support et la compréhension qu’on a autour de nous, ou pas.

Dans un monde idéal, les femmes enceintes n’auraient pas à travailler (du moins pas temps plein) pendant la grossesse, et on aurait toutes une maman, une amie ou une sœur qui serait là les jours où la bourrasque nous impose de faire la flaque humaine.

Malheureusement, de nos jours c’est souvent chacun pour soi et les femmes en mènent large. La plupart travaillent ou sont à la maison avec des enfants à s’occuper, ce qui est en soi un travail incessant !

Par chance, nos hommes sont plus présents qu’ils l’étaient il y a vingt ans, mais hélas, il faut bien qu’ils travaillent eux aussi. Alors on en revient à dire que les femmes ont le dos large ! Ce qui explique un peu pourquoi c’est si dur d’accepter le sort d’un premier trimestre qui nous terrasse à faire la flaque humaine.

Je glisserai donc quelques mots honorifiques à mon chéri, qui depuis treize semaines est aux petits oignons avec moi. Combien de fois il m’a dit « Ça va, je te nourris et toi tu fais notre bébé. » Avec bien sûr, de la broue dans le toupet de gérer tout seul l’intensité de la maisonnée !

Un mantra pour le premier trimestre

Si vous me suivez, vous savez que ce bébé est notre bébé arc-en-ciel. C’est comme ça qu’on appelle un bébé qui vient après la perte d’un bébé. Vous pouvez lire l’histoire de mon bébé perdu ici.

Il m’aura enseigné beaucoup de choses ce bébé parti trop vite, entre autres, que la grossesse est une bénédiction et que chaque symptôme se doit d’être embrassé avec la reconnaissance du miracle en cours.

Alors pour moi la première nuit à ravaler le vomit qui me montait dans la gorge, je l’ai vécue comme une bénédiction, et ainsi de suite depuis treize semaines. Oh il y a bien eu des moments de découragements à pleurer sur mon sort d’inefficacité, mais mis à part ces petits moments où j’ai craqué, je pense que ce mantra « d’embrasser chaque symptôme comme une bénédiction » m’a vraiment permis de vivre ces premières semaines avec conscience et reconnaissance.

Oh! Je ne crie pas victoire, je sais que ça ne fait que commencer. Mais je compte bien pratiquer ce mantra au maximum et je vous encourage à faire pareil si vous êtes au premier trimestre. Ça ne change pas tout, mais ça aide un peu…

Autre mantra : Seize semaines, tiens bon les seize semaines viendront !

Pourquoi ? Parce qu’à seize semaines le placenta allume toutes ses fonctions à pleines capacités. En d’autres mots, jusqu’à seize semaines le corps de la femme fabrique un embryon (qui devient fœtus à 12 semaines) ET un placenta. Jusqu’à 16 semaines, la femme nourrit donc le bébé et le placenta. Après 16 semaines, elle nourrit le placenta qui lui nourrit bébé. Donc en réalité, le regain réel d’énergie est rarement avant seize semaines, vous savez maintenant pourquoi.

Avoir peur de le perdre

Après une fausse-couche à onze semaines et six jours, c’est clair qu’on n’est plus naïve.  Quand bébé meurt après qu’on ait entendu son cœur, il y a quelque chose qui s’inscrit en nous pour toujours : la conscience absolue que la vie n’offre jamais de garantie.

Même si j’ai entendu le cœur de mon bébé déjà quelques fois au foetoscope, je sais que bébé pourrait mourir encore. Je pense à M. ou à L. qui ont perdu leur bébé à 15 semaines. Puis à B. et à C. qui l’ont perdu à terme. Je pense à mon fils qui pourrait ne jamais souffler ses vingt ans à cause d’une maladie de merde. Bref, ce bébé il est là et je ne peux qu’espérer qu’il choisisse de vivre. Je ne peux que faire confiance en la sagesse de mon corps et de ma destinée. C’est ainsi. Ça l’a toujours été. Seulement, je ne l’avais pas encore intégré.

Premier trimestre grossesse

Quand j’ai vu le sang brunâtre qui coulait entre mes jambes à 9 semaines et trois jours, mon cœur a fait trois tours. J’ai eu si peur de revivre une fausse-couche. Ce jour-là je lui ai répété sans arrêt « Je t’aime bébé. Je t’aime mon bébé. Je t’aime. Si tu savais comme je t’aime. » Et les saignements ont cessé. Ce jour-là je l’ai même senti bouger. Comme s’il voulait me dire « Ça ira maman, ne t’en fais pas ».

Pendant mon premier trimestre, j’ai pu voir trois personnes autour de moi perdre leur bébé de février. Chaque fois, j’ai repensé à ma fausse-couche et à combien il m’avait brisé le cœur de ne plus être enceinte avec elles, celles qui accoucheront bientôt de leur bébé de septembre. J’ai eu mal de voir leur bedaine grossir jusqu’à ce que la mienne apparaisse à nouveau. Maintenant, c’est autour de ces femmes de marcher ce chemin du deuil…

Choisir d’avoir un suivi médical, ou pas

Avec le premier trimestre s’imposent aussi ces réflexions importantes sur le suivi de grossesse.  Avoir un suivi sage-femme, avec un médecin, ou pas de suivi du tout ? Faire le dépistage de la trisomie ou pas ? Avoir des échos ou pas ? Faire confiance à la vie, ou avoir besoin d’être rassurée par la science ?

La grossesse n’est pas une maladie

La grossesse est un processus physiologique normal et fiable, au bout duquel la femme enfante et un bébé naît. C’est l’histoire de l’humanité.

Or, nous voilà en 2018, à l’ère où on peut voir à travers le ventre des femmes et évaluer le sexe du bébé et son patrimoine génétique par une simple prise de sang à quelques centaines de dollars. Et si le bébé ne fait pas notre affaire, alors on peut l’avorter et en refaire un autre.

J’ai pensé à cette réalité pendant presque douze semaines. Peut-être parce que j’accoucherai à trente-neuf ans et que mon risque (ou ma chance ?) d’avoir un enfant trisomique est évalué à 1/80 ?

Je sais bien que je ne suis pas la seule à être inconfortable avec les enjeux éthiques de tout ça. La vérité c’est que j’éprouve un malaise réel à constater combien ce processus est largement intégré socialement, et que moi-même comme sage-femme je l’endosse en signant la prescription des dépistages prénatals.

Évidemment que je ne veux pas d’un enfant trisomique, mais veux-je du choix de tuer mon bébé s’il est trisomique ? Je ne voulais pas d’un enfant handicapé, puis le mien (qui était parfait) l’est devenu à seize ans. Avons-nous vraiment le pouvoir de déjouer notre destinée grâce à la médecine ? Bon évidemment, la médecine est utile. Si j’ai des jumeaux, je veux bien savoir s’ils ont chacun leur poche et placenta. Si j’accouche prématurément, je veux bien de la magie de la néonatalogie. Mais là, je ne suis qu’à treize petites semaines, à quel point veux-je voir et analyser mon petit miracle en production

Bref, vous voyez le genre… Le tout sous la cadence de l’ambivalence, dans l’espoir d’ancrer la certitude !

 

À 8 semaines…

À douze semaines, presqu’aussi grosse que Leila à 30 semaines! Lol.

 

Et si on honorait le premier trimestre de la grossesse ?

Je reviens au but de ce billet : S’il y a un truc que vous devriez retenir après avoir lu ces 2900 mots (!!!), c’est qu’il faut parler du premier trimestre de la grossesse, l’honorer et le réfléchir, l’ancrer dans la conscience populaire, pour éveiller le respect des femmes et la dévotion de leur corps, âme et esprit pendant ces premières semaines fatidiques et transformatrices de la grossesse, et de la vie tout entière.

Plutôt que de demander la date prévue de la clarté nucale à votre prochaine amie nouvellement enceinte, demandez-lui donc plutôt comment elle vit ces premières semaines de transformation. Si elle vous dit qu’elle vomit constamment et/ou qu’elle est intensément fatiguée, offrez-lui de garder ses enfants et d’aller faire un souper un de ces soirs que son partenaire n’est pas là.

Bref, ramenons le concept du « Nurturing » envers les femmes enceintes. Ainsi, si elles sont bien nourries par les gens qui l’entourent, elles pourront à leur tour nourrir leurs petits miracles en production.