Vivre une grossesse après avoir perdu un bébé, quel parcours intense ! Dans ce billet je vous partage mon vécu et mes découvertes sur le chemin d'une grossesse après avoir enfanté la mort en mars 2018. À quelques jours ou semaines d'enfanter de mon bébé arc-en-ciel, j'ai eu envie de vous partager en toute humilité et intimité ce parcours puissant d'une grossesse vécue dans la conscience assumée de la mort.

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Ça n'arrive pas qu'aux autres...

On ne pense jamais que ça peut nous arriver, jusqu’au jour où ça nous arrive.

Avant ce jour, ça n’arrive qu’aux autres. On sait que ça se peut, que c’est arrivé à tel couple d’amis, mais on ne pense jamais que ça va nous arriver à nous.

Quand je me suis levé ce matin-là et que je ne sentais plus mon bébé vibrer en moi, je n’ai pas voulu y croire. J’ai donc laissé passer deux jours avant d’affronter la réalité, oser appeler quelqu’un et nommer ce sentiment amer et cruel qui m’habitait.

Ensuite, il y a eu le choc de la nouvelle, la phrase « Life is a bitch. » qui roulait en boucle dans ma tête, le déni (j’ai même essayé d’écouter le cœur), la colère, la tristesse… Bref, toutes les étapes d’un deuil, même si mon bébé n’aura été en moi que douze petites semaines.

Pour lire l'histoire de ma fausse-couche pleine de grâce, c'est ici.

Bébé arc-en-ciel

Quand les contractions ont commencées... mon plus long accouchement... J'étais libre, triste, pleine de grâce et de puissance, même dans la mort. 

Je l’ai porté mort deux semaines. J’avais ce besoin intense de lui bercer ses adieux. Puis, dès qu’il est sorti de moi, je voulais un autre bébé. Le vide était trop horrible, vertigineux, effrayant. Mon ventre mou de sa perte me répugnait. Tant de sacrifices pour rien en fin de compte? Horrible. J’ai pensé à ces femmes qui perdent leur bébé à terme et j’ai senti le désir de mourir. Comment peut-on survivre à une telle souffrance ? 

Puis j’ai compris que l’humain survit à tout, tant que son coeur bat. Je survis bien à mon fils (jadis si parfait et en santé) qui dégénère devant nous depuis presque trois ans. J’ai appris à vivre avec ce couteau dans ma moelle de mère, au prix de quelques rides et d’une certaine épaisseur de cheveux, mais quand même, j'y arrive... à ma plus grande surprise. 

Bref, après cette fausse-couche j’ai vite compris que j’allais survivre au deuil de cet enfant que je ne connaîtrai jamais. J’ai réappris à sourire sans me sentir coupable. J’ai plongé dans les yeux de mes enfants vivants et j’ai vu l’horizon. J’ai accepté le vide en moi et j’ai continué d’avancer…

bébé arc-en-ciel

Quelques jours après la fausse-couche, on est parti dans la jungle, près de la mer afin de "Let the ocean wash away..."

Trois mois se sont déroulés avant que la vie veuille à nouveau se nicher en moi. Mon bébé arc-en-ciel* avait décidé de venir. Dès le début, j’ai senti qu’il allait vivre celui-là. Je le sentais fort et motivé à venir, mais j’étais loin de me douter à quel point porter la vie après avoir porté la mort serait un défi constant.

*Un bébé arc-en-ciel, c’est ainsi qu’on appelle un bébé qui vient après un deuil périnatal. L’espoir et la magie après la tempête…

Porter la vie après avoir donné la mort

Il y a maintenant trente-six semaines que la vie s’est nichée en moi. Je suis pleine comme la lune, j’ai du mal à me déplacer, je dors mal, je suis cernée à souhait, mon bassin est en compote et mon cœur est dilaté fois mille par l’espoir que bientôt je tiendrai mon bébé arc-en-ciel contre moi.  Cependant, même à ce stade je pense encore à la mort, peut-être même plus que jamais.

Pour tout dire, j’ai peur de la mort depuis le premier jour de cette grossesse. J’y pense tous les jours, c’est plus fort que moi. C’est que je ne suis plus naïve. Je sais que je ne suis pas à l’abri de la mort parce que j’ai déjà perdu un bébé. Je ne tiens rien pour acquis. Si bien que chaque fois que mon chéri me dit « Ça va aller, il va vivre notre bébé. Il est fort celui-là. » Je lui réponds « On verra. »

Ce n’est pas que je n’y crois pas. Si vous saviez comme je le sens fort ce bébé. Je le vois vivre et grandir parmi nous. Je le vois sourire et courir, nous faire rire aux éclats, seulement, je sais maintenant que malgré ces belles visions, rien n’est garanti. Ma petite Mila-Perle m'aura appris ça. 

Personne ne peut garantir à une femme enceinte que son bébé va vivre, pas même le Bon Dieu. C’est ainsi et ce le sera toujours, pour toutes les femmes du monde. C’est sur les bases de cette vérité que l’humanité s’est créée.

Karine la sage-femme

La grossesse d’un bébé arc-en-ciel

J’ai eu trois grossesses à terme avant celle-ci et jamais je n’ai craint la mort. Pour tout dire, je n’y ai jamais pensé. J’ai pris mes bébés pour acquis jusqu’à leur naissance et leur arrivée dans la vie. Quand je pense à cette femme enceinte que j’ai été ces trois fois-là, je l’envie certes, mais je la trouve aussi tristement naïve.

Bien que la naïveté de l’inconscience de la mort soit confortable. Porter la vie avec la conscience de la mort est certainement une expérience des plus transcendantes.

Vivre cette grossesse avec la conscience de la mort m’a fait encore plus réaliser les enjeux du paradigme médical de naissance, et, à quel point avec tous ses tests et suivis ce paradigme entretient une fausse garantie d’être protégé contre la mort.

Je ne vous dirai pas si j’ai eu ou non un suivi, une échographie, ni même comment je planifie accoucher. Cela m’appartient et pour le moment je préfère le garder pour moi.

J’exprimerai tout simplement que j’ai réalisé à quel point porter la vie avec la conscience de la mort me donne encore plus de pouvoir et d’autonomie dans mon processus. Je ne me sens pas redevable à qui que ce soit et je n’adhère pas à l’idée qu’un médecin ou une sage-femme pourrait déjouer la mort si elle devait arriver. Résultat, j’ai le sentiment de vivre une grossesse, et bientôt une naissance, réellement entre science et sacré. Je me sens actrice principale de mon expérience, je suis la seule détentrice de tous les pouvoirs et c’est un sentiment extrêmement fort, et déroutant !

C’est moi qui porte et qui donnerai la vie, avec sa mort certaine un jour. Si mon bébé meurt avant, pendant ou après sa naissance, je sais que ni moi ni personne n’en sera responsable, sinon que la vie elle-même. C’est cette impuissance qui est déroutante, voire effrayante. Mais bon, c’est ainsi depuis que le monde est monde et l’histoire nous a montré que les femmes ont le pouvoir d’enfanter et les bébés ont la force et la sagesse de naître.

Concrètement, avancer à travers les dix lunes d’une grossesse avec cette conscience de la mort a fait que je n’ai rien acheté ni préparé pour mon bébé avant tout récemment, autour de trente-quatre semaines.

J’ai commencé par une petite couverture, puis un pyjama, et dans la dernière semaine j’ai plongé à fond dans les préparatifs. Au début, je me disais carrément « Si j’achète ce truc et que mon bébé meurt, je l’aurai acheté pour rien. » Puis, au fil du temps, j’ai senti le besoin de faire le nid pour vrai. Peu à peu j’ai senti ma foi en son arrivée dans la vie se solidifier.  

Son petit coin dans notre chambre est presque terminé et j’ai commencé à faire de la place pour lui un peu partout dans la maison. C’est si bon de l’imaginer parmi nous, dans notre décor, notre action familiale. Ça aura pris du temps, mais je crois que maintenant, j’y crois réellement. Je lui dois bien ça, quoi qu’il arrive.

Bébé arc-en-ciel

Porter la mort, ça laisse des traces à vie.

À un certain point de ma grossesse, j’ai appelé mon amie B. pour qu’elle me dise comment elle avait fait pour porter sa fille après avoir perdu son fils à quarante semaines et six jours de grossesse.

Cette discussion fut incroyablement salvatrice. Ça m’a rassuré de savoir qu’elle avait pensé à la mort tous les jours de sa grossesse, qu’elle aussi n’avait plus jamais rien tenu pour acquis et que même encore aujourd’hui, elle pensait à la mort chaque jour de sa vie et de celle de ses enfants. Ça m'a fait réalisé que même si je pense que c'est pire de perdre un bébé à terme qu'un embryon, les traces de conscience que laisse la mort sont malgré tout similaires. 

On a parlé de l’anxiété, de l’angoisse, de l’envie légitime d’être provoquée plus tôt dans son cas. J’ai repensé à ces femmes que j’ai accompagnées dans le passé pour leur bébé arc-en-ciel et j’ai réalisé combien j’allais maintenant être une meilleure sage-femme pour accompagner les prochaines. Parce qu’il y aura toujours des prochaines, parce que donner la vie, c’est s’exposer à la possibilité de la mort. Qu’on le veuille ou non, c’est un fait.

Avoir la conscience de la mort quand on porte la vie.

Aussi cruelle soit cette idée, donner la vie à un enfant c’est lui offrir sa mort certaine au bout de sa route. Une mort qu’on espère après une longue vie heureuse, mais qui aussi peut se pointer à tout moment, de la conception à cent ans. C’est la plus grande vérité de la vie.

Selon les sources, si la fausse-couche touche une femme sur quatre, la mort fœtale au troisième trimestre touche une grossesse sur 150 à 200. C’est énorme comme ratio quand on y pense.  Alors pourquoi on n’en parle jamais ? Parce qu’on pense que si on en parle ça va nous arriver ? Parce qu’on pense que ça n’arrive qu’aux autres ? Parce qu’on tient pour acquis que notre médecin ou notre sage-femme nous protègeront de ce drame ?

Peut-être un peu de toutes ces réponses. Mais bon, le fait est que la mort est une possibilité quand on porte la vie et que même si en être conscient peut rendre le chemin un peu plus effrayant et angoissant par moment, cette conscience apporte aussi son lot de force et de puissance.

Ma Sheela Na gig, façonnée de mes mains dans l'argile pour m'inspirer la confiance des déesses ancestrales. Celles-là qui ont toujours enseigné l'enfantement dans la puissance, l'abandon et la confiance. Je l'aime d'amour!!!

J’accoucherai en femme libre.

Les gens ont commencé à me demander comment je vais accoucher. Probablement parce que mon terme arrive et que je suis dans la dernière lune de ma gestation. J’essaie de ne pas trop penser aux mille idées préconçues que les gens doivent se faire de l’accouchement de « Karine la sage-femme », ça pourrait me mettre une pression que je ne souhaite pas porter.

La seule réponse qui me vient en tête en ce moment, c’est que j’accoucherai en femme libre. Libre par la conscience de la puissance de mon corps de femme. Libre par la conscience de mon impuissance face au vortex qui se dévoilera et ses issues. Libre et aimée par les yeux verts de mon homme qui croit en moi, souvent même plus que je crois en moi.

Je sais que je peux avoir un orgasme en accouchant, je sais aussi que je peux avoir une césarienne, ou pire, que mon bébé peut mourir. Pour tous ces possibles incontrôlables, je choisis l’abandon en confiance dans l’impuissance de la vie, avec sa mort certaine que j’espère loin, très loin. Je choisis la confiance en mon intuition et mon bon jugement et je me libère de mes peurs.  

Je me suis rendue jusqu’ici avec un bébé qui se dévoile de plus en plus fort au fil des lunes, alors je veux croire que ce bébé choisira de vivre et grandir à nos côtés.

Ainsi soit-il.

J’ai si hâte de découvrir qui se cache là-dedans !

bébé arc-en-ciel

Et vous? Comment avez-vous vécu votre grossesse arc-en-ciel?