Nous avions souhaité la naissance de Damien (notre aîné) à domicile, mais en raison d'un délai trop long entre la rupture de la poche des eaux et l'expulsion, nous avons dû terminer cet accouchement à la maternité sous péridurale, et avons échappé de peu à une césarienne.
Ce premier accouchement a été une déception et nous avons voulu mettre toutes nos chances de notre côté pour notre deuxième naissance. Oui, notre deuxième naissance, car je crois que cela a été autant la naissance de Maël que celle de notre couple et de moi en tant que femme.
Même mon aîné Damien, par sa présence active lors de cet événement, a pu, je crois, réparer la blessure de sa propre arrivée sur Terre. Nous avons beaucoup lu, beaucoup communiqué et fait ce choix qui nous semblait cohérent et puissant : accoucher en famille. Cette naissance en famille, d'une parfaite simplicité, a été le moment le plus extraordinaire de ma vie et un acte fondateur dans ma confiance en moi, en mon couple et en mes enfants. Je n'ai qu'une hâte : mettre au monde un troisième enfant !
L'attente.
La date prévue d’accouchement était le 22 décembre, mais nous étions persuadés que Maël arriverait avant le 10. Le temps était donc suspendu, en attente de la naissance imminente, et la pression montait pour Gérald et moi, jour après jour. Depuis le début, ma grossesse a été accompagnée par notre sage-femme Alexandra qui avait déjà fait le suivi de grossesse de Damien. Alexandra correspond parfaitement à notre caractère, discrète, mais à l’écoute, elle a su nous sonder, nous comprendre, et nous amener vers ce qui nous correspondait le mieux : une naissance non-assistée.
Comment? Principalement en nous montrant son entière confiance et en me conseillant des lectures qui nous ont ouvert l’esprit :
- Message d’une sage-femme pour une naissance libre, A. Seccia
- Accoucher par soi-même, L. Kaplan Shanley
- La naissance orgasmique, guide pour vivre une naissance sûre, satisfaisante et agréable, D. Pascali-Bonaro et E.Davis;
- La naissance naturelle, I.M. Gaskin.
Nous avons donc décidé, dans la mesure du possible, d’accoucher seuls et elle nous a généreusement donné son soutien.
Un doux après-midi de décembre au jardin
Le matin du mardi 19 décembre, notre voisine, amie et ostéopathe Marie est venue travailler sur les tensions cumulées de Gérald (approche des Fêtes, attente de la naissance, journées trop courtes…) et a, semble-t-il, débloqué pas mal de noeuds, puisque Gérald se sentait beaucoup mieux après son passage. Cela aurait-il permis la naissance ?
Il faisait très doux et ensoleillé. En début d’après-midi, nous sommes descendus nous occuper du poulailler. Damien, de très bonne humeur, sautillait dans le jardin et caressait les poules. J’ai été prise d’une soudaine envie de m’activer. J’ai attrapé une griffe et j'ai décidé de faire sauter toutes les petites allées de bois qui délimitaient notre potager (maintenant transformé en poulailler). Gérald du coup s’est mis à retourner la terre et à y déverser notre compost. Je tapais dans la terre, versait les seaux de compost. Debout, accroupie, debout, accroupie. J’ai senti plusieurs contractions, mais rien d’alarmant étant donné les nombreuses contractions quotidiennes de ces dernières semaines.
Je me sentais heureuse de jardiner en plein soleil de décembre et de voir Damien se mettre de la terre partout, même dans la bouche. 15h, heure de la sieste familiale générale, Gérald est monté coucher Damien tandis que je préparais la tisane en travaillant un peu sur mes distributions de Noël de la Ruche. Encore quelques contractions. Quand Gérald est descendu je lui ai dit:
« quand même, il me semble que j’ai dû avoir une petite dizaine de contractions ces deux dernières heures», sourires partagés. « Alors, au repos ! » m’a t-il dit.
Je pars à la sieste en espérant bien me reposer mais je sens que quelque chose se trame à l’intérieur de moi et reste attentive… contraction… recontraction… encore contraction… Foutu ! J’ai compris ! Et maintenant je n’arriverai jamais à dormir. Je me lève et dis à Gérald:
« Je crois bien qu’on va avoir un bébé !! »
Entre Stromaë et purée de courge
Il est 16h30. L’excitation monte et avec elle l’adrénaline. Gérald et moi ne savons plus trop quoi dire, on s’affaire comme deux petites abeilles, le coeur battant, un coup d’aspirateur par ci, un coup de vaisselle par là, je prépare le lit avec des protections, je finis de préparer tout le nécessaire pour les deux ruches de jeudi soir (au cas où je serais à la maternité). J’envoie un message à Alexandra pour la prévenir que le travail a commencé, que nous aurons probablement besoin d’elle demain matin. Nous avons décidé qu’elle viendrait juste après la naissance pour vérifier que tout va bien.
Je sais que l’adrénaline est contre-productive dans l’accouchement (hormone antagoniste à l’ocytocine) et décide donc de changer d’état d’esprit, de rester détendue, ancrée dans la réalité du quotidien. Après le réveil de Damien, nous partons faire une course au Carrefour d’en bas : quelques bananes, du concombre, des raviolis pour des repas rapides. En à peine 10 minutes dans le magasin, j’encaisse trois contractions, mais ça ne se voit pas, personne ne se doute de rien. De retour à la maison, les contractions se rapprochent et s’intensifient. Gérald et moi partageons un drink.
Je me mets à l’aise, en pyjama, et commence à essayer différents mouvements pour voir ce qui me soulage le mieux pendant la contraction. Je me dis que j’ai encore assez d’esprit pour faire des essais : pousser contre un mur fesses et jambes vers l’arrière, faire des rotations du bassin, me mettre à quatre pattes, m’asseoir sur le gros ballon, faire des sons graves… Gérald et Damien m’imitent, on rigole, j’apprécie de me sentir accompagnée. Les rotations du bassin en émettant des sons graves semblent être ce qui convient le mieux. Je garde cette formule pour les contractions suivantes tout en préparant le dîner pour mes chéris : purée de courge butternut avec saucisses de la Ruche ! Je m’arrête toutes les 5 minutes d’éplucher ma courge pour prendre ma contraction, puis je continue.
Je souffle, je garde mon esprit détendu, ouvert à ce qui se passe, accueillant, joyeux, positif. Je souris, je souris, je ris. Nous écoutons Stromaë parce qu’on a vu un super reportage sur lui la veille. Je dis régulièrement à Gérald que « ça envoie du pâté quand même !», histoire que ce soit clair que même si je suis de super bonne humeur, je pense que le travail avance bien. À 19h13, je sers les assiettes à Gérald et Damien, mais pas pour moi. Je n’ai pas faim et n’ai pas du tout envie de m’asseoir. Les contractions sont très rapprochées, on ne les a jamais chronométrées mais probablement moins de 5 minutes entre chacune.
Une piscine devant la cheminée
Je continue ma gymnastique dans l’espace devant la cheminée que nous avons dégagé pour accueillir bientôt la piscine. Damien finit toute son assiette en restant parfaitement tranquille, je suis contente. Après manger, il sollicite notre attention, je fais semblant de jouer aux legos avec lui tout en tournant mon bassin sur mon gros ballon jaune.Les contractions sont presque continues et je sens que je change de phase, cela devient très fort, je vais bientôt avoir besoin de rentrer dans la piscine.
Gérald l’installe et commence à la remplir, je trouve que c’est un peu long, le débit est faible. Damien est allongé sur le carrelage devant mon ballon, ses petits pieds cognent contre mon ballon qui tourne, il joue avec son papa aux legos, je regarde le niveau d’eau qui monte doucement.
Je me sens si heureuse de cette ambiance qui m’entoure, juste nous !
Les contractions me font me cambrer en faisant plein de sons graves et en disant des jurons « oh putain ! oh putain ! ». Je n’y tiens plus, je me déshabille et m’immerge dans la piscine, l’eau est trop chaude mais c’est délicieux, ça me soulage ! Il est probablement 19h30/19h45. Je commence à me déconnecter, à ne plus avoir trop conscience de ce qui se passe autour de moi. C’est la phase de transition, c’est la tempête. Je me dis que c’est super ! Déjà la phase de transition ! Tout va si vite.
Chaque minute, chaque contraction rapproche notre bébé de la sortie. Je ne peux pas affirmer l’ordre des souvenirs suivants donc je les mets en vrac. Je deviens animale, me tourne et me retourne, émet toute sorte de sons. Avec le recul, je me dis que jamais je n’aurais pu me comporter comme je l’ai fait devant quelqu’un d’autre que Gérald et Damien. Lors d’une contraction, la poche des eaux explose dans l’eau en formant une grosse « bulle ». J’ai l’image d’une méduse faisant surface. Je dis que j’ai des fourmillements dans les mains, Gé me dit de respirer par le nez, je m’exécute. Il m’apporte un verre d’eau que j’avale cul sec. Il me dit qu’il est désolé, qu’il voudrait s’occuper plus de moi, mais que Damien le sollicite. Je lui dis que tout va bien, que c’est parfait. J’échange des regards avec Damien qui m’observe attentivement au bord de la piscine:
« maman va bien, on fait le bébé, je t’aime », sourires.
Encore quelques violentes contractions, j’ai l’impression qu’il n’y a plus de pause entre deux. Je demande une pause « il faut que ça s’arrête, j’ai besoin d’une petite pause » et tout s’arrête, tout devient calme pendant quelques minutes où je me ressource, respire, souris, regarde mes chéris qui sont si près de moi. Gérald et Damien posent leurs mains sur moi pour me donner leur énergie.
La traversée.
Puis Damien est trop agité, probablement à cause de l’intensité du moment, Gérald l’emmène dans notre chambre pour jouer. Je sens alors que ça change, la phase de transition se termine, et c’est l’envie de pousser qui prend le relais. Les premières contractions, j’ai envie de pousser, mais pas encore très fort, j’obéis à mon corps, c’est lui qui décide. Instinctivement, ma main va explorer mon col de l’utérus, je sens la tête de Maël. Je n’ai aucune idée à combien je suis dilatée, mais je sens sa tête là qui pousse et se fraie un passage. Elle me paraît loin tout au fond, je me dis qu’il y a encore tout ce tunnel à traverser, combien de temps cela peut-il prendre ?
Trois contractions plus tard (j’imagine environ 5minutes) la tête est au périnée, je la sens qui gonfle toutes mes membranes. Gérald fait des allers et retours entre la chambre et la piscine, essayant de ne pas en perdre une miette, d’être là si besoin. Il envoie un SMS à Alexandra « Il sort tu peux venir», à 20h39. Une poussée, la tête passe à moitié. Ça brûle un peu, mais pas trop. Je dis à Gérald: « la prochaine poussée la tête est dehors ». Poussée suivante, la tête est dehors, je la touche, elle est douce: « il est là ». Gérald dit: « il est trop beau », avec une voix chevrotante. Je réponds: « la prochaine poussée il sort ».
Poussée suivante, tout son petit corps me traverse dans une sensation agréable, libératrice, de victoire, de puissance ! Je l’attrape et le ramène sur mon ventre, il crie, il est avec nous. On est tellement heureux.
Il est là !
J’entends à la voix de Gérald qu’il est submergé par l’émotion. SMS à Alexandra, « il est là… » 20h42. Maël est donc sorti en 3 minutes ! Aussitôt le bébé expulsé, Damien est revenu de la chambre par lui-même et partage ce moment magique avec nous. Ce doivent être les cris de Maël qui l’ont attiré. Il semble subjugué de voir que le bébé dont nous avons tant parlé depuis quelques mois est bien là, en chair et en os.
Nous arrosons Maël d’eau tiède, il est un peu bleu, j’ai peur qu’il ait froid, car il n’est pas immergé alors Gérald m’aide à sortir de l’eau pour m’installer dans le canapé juste à côté. Il nous couvre de nombreuses serviettes, une couverture chaude sur Maël qui est sur mon ventre.
Nous restons là calmement tous les quatre, devant la cheminée qui crépite doucement. Nous admirons Maël, il est si beau !
Je commence à convulser de tout mon corps, j’ai besoin d’énergie. J’avale 4 barres de céréales d’affilée et une pomme. Quelques minutes plus tard, mon corps s’apaise à nouveau. Gérald vide rapidement la piscine qui a une fuite et dont les bouées se remplissent d’eau, puis il met une lumière douce (nous étions restés en pleine lumière jusqu’à présent sans y réfléchir) et nous attendons sagement l’arrivée d’Alexandra, dans notre béatitude. Elle arrive probablement une grosse demi-heure après l’expulsion, le placenta est encore dedans.
Je voudrais que Maël prenne le sein pour aider la délivrance, mais il ne semble pas vouloir ou y arriver. Sa bouche est dessus mais « ça ne mord pas ». Gérald monte coucher Damien qui a eu son lot d’émotions pour ce soir et s’endort facilement en riant. Puis Alexandra me dit que je peux pousser et « plof » le placenta sort d’un coup. Nous le regardons (il y a même une photo), elle nous explique comment c’est fait et me dit que j’ai trois petites déchirures superficielles. Gérald clampe le cordon et le coupe. Nous restons encore en peau à peau un très long moment, nous discutons. Bien plus tard nous essuyons Maël, il y a du méconium partout sur lui, sur moi et sur sa couverture. Je vais me laver sous la douche, Maël est dans les bras de papa. Puis nous faisons la pesée en hamac, il pèse 3kg850, tout de même !
Vers minuit Alexandra s’en va et j’ai 30 ans ! Nous restons avec Gérald jusqu’à environ 3h du matin à nous émerveiller de ce fabuleux bébé et de ce fabuleux accouchement, plus réussi que tout ce que j’avais osé espéré de meilleur. Maël a pris une grosse tétée, il dort contre ma peau. Puis nous allons nous coucher et tout le monde dort à poings fermés sauf moi qui, baignée d’ocytocine, bercée de joie, ne ferme l’oeil que 10 minutes cette nuit là. Dans le babyphone, chose rarissime, j’entends Damien rigoler/chanter « Halalala » deux fois dans la nuit puis se rendormir. Toute la maisonnée semble enchantée !
Lumé
La photo où nous sommes en famille au pied d'un grand arbre est prise 24 jours après la naissance lorsque nous sommes montés à 800 m d'altitude enterrer le placenta (sous les pierres) au pied d'un chêne quadricentenaire.
Je suis Lumé et je vis dans les Alpes-Maritimes avec mon mari Gérald et mes deux enfants. Nous sommes coordinateurs d'un réseau de distribution en circuit court qui s'appelle La Ruche qui dit Oui !
Nous rénovons la vieille maison dans laquelle nous vivons et venons de déposer notre permis de construire pour une maison en paille autonome (électricité, eau, alimentation). Nous pratiquons avec nos enfants l'instruction en famille. Gérald est passionné par le domaine de la santé (alimentation, plantes médicinale, remèdes alternatifs ) et le jardinage. Lumé par la couture et l'éducation. Bref, nous cherchons toujours à acquérir plus de liberté par notre autonomie dans tous les domaines. La naissance de Maël a représenté un grand pas sur ce chemin de la liberté
Voici quelques billets écrits par Karine Laseva autour de l'enfantement libre et d'autres récits de naissance de la communauté QUANTIK MAMA:
- Ces femmes qui accouchent seules : quand l'enfantement est un événement familial.
- Quand la naissance revient dans un village après cinquante ans: récit de naissance.
- L'accouchement : la fausse garantie du paradigme médical.
- Accoucher en présence d'enfants : quand la naissance est un événement familial.
- L'accouchement n'est pas un acte médical.
- Ces femmes qui aiment accoucher.
Un très beau récit de naissance qui me rappelle bien des souvenirs aussi… La piscine la tête entre les jambes toute douce , le calme le bonheur de glisser dans l’eau chaude, le sentiment de devenir animale .. Et la délivrance ! Sentir le petit poids du bébé sur le ventre le sourire ému du papa… Ça donnerait presque envie d’en avoir un troisième aussi pour revivre toutes ces belles émotions. Bisous soeurette
Déjà, une trentaine d’années en arrière, mes filles Lumé et Lucie sont nées dans l’eau, en piscine, à la maternité. Des naissances relativement faciles, sans péridurale, qui m’avaient laissé un merveilleux souvenir. A l’époque, les naissances à la maison étaient encore perçues comme trop risquées, aussi, le passage à la maternité nous semblait une évidence, même si nous souhaitions que l’arrivée de nos enfants soient la moins médicalisée possible.
Trente ans plus tard, mes filles ont fait le choix d’accoucher à la maison. J’ai bien accueilli cette nouvelle, malgré une légère appréhension qui subsiste toujours… La naissance de Maël fut un enchantement, perpétuant dans la famille cette croyance qu’une naissance peut se vivre dans la plénitude et la sérénité.
Joli témoignage, Lumé. Bien écrit comme toujours. On sent bien l’amour qui vous baigne. Oui, c’est vrai que ta sœur et toi avez poussé un peu plus loin encore les choix que votre mère et moi avions fait pour vos naissances. Vous êtes sans doute deux des rares femmes à être nées et à avoir accouché dans l’eau. Enfin, à notre époque car on ne sait pas trop ce qu’il en était dans l’antiquité, par exemple. Damien et Maël, ainsi que Milo, auront du mal à porter le flambeau de ces merveilleuses naissances douces et naturelles. Alors Nahia ? Comment tu le sens ? Et Laila peut-être aussi. En tant que grand-père, je serai ravi de devenir arrière grand père de cette façon.
Bonjour, merci pour ce récit . Je m’émerveille que tu soit française et si bien entourée par cette sage-femme. Cette naissance magnifique m’encourage. J’adore ta vive activité avant l’accouchement et ce petit garçon qui est accueilli dans tous les aspects de votre famille ! Petit clind œil , la ruche m’a permis pendant ce confinement d’être approvisionné en produits frais et bio, ouf c’était important pour ma grossesse. Très amicalement
Camille